dimanche 28 décembre 2008

Portage salarial : Frankenstein au pays du droit du travail ?

Etant "en disponibilité" comme on dit, j'ai rapidement entendu parler de portage salarial. L'idée a l'air simple: recourir à une société pour la partie "administrative" de son activité indépendante, et bénéficier de certains avantages du salariat. En fait, le portage est un vaste chantier juridique. Je me suis penché sur les controverses qu'il soulève.

Définition

Selon l’article L1251-64 du 25 juin 2008 du code du travail, "le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle."

Apparu dans les années 80, le portage salarial n’a un cadre juridique définitif que depuis... juin 2008! Statut hybride entre le salariat et l’indépendant, il naviguait jusqu’alors dans la semi-légalité. Pour cette raison, on ne dispose d’ailleurs d’aucune donnée chiffrée officielle. L’effectif est estimé à 20 000 personnes selon la seule enquête sérieuse, menée en 2007 par le CESTA, le Centre de sociologie du travail et des arts.

Le dispositif est relativement simple: le porté est salarié (en CDD ou CDI et à temps partiel) d’une entreprise de portage salarial (EPS). Moyennant une ponction (de 5 à 15%) sur les honoraires versés par l’entreprise cliente où exerce le porté, l'EPS prend en charge l’aspect administratif de l’emploi d’un salarié.
En terme de droit du travail, on a donc affaire à un oxymore, car le portage institue "l’indépendant salarié", c’est-à-dire deux notions jusqu’alors antagonistes. Voyons plus en détails.

"Indépendant…": quelques inconvénients


Le porté gère son portefeuille client et assure son propre développement, tout comme un consultant indépendant. Il doit donc savoir se vendre, ce qui n’est pas forcément à la portée de tous. Un porté témoigne:

"Je ne suis pas le cador incontournable sur la place... Il faut donc que je me vende. Et la vente, ce n'est pas mon boulot..."

Son équipement, considéré comme un investissement, reste à sa charge. Surtout, son salaire est totalement lié au versement de ses honoraires. En cas de défaillance du client, les recours sont du ressort du tribunal d’instance et non des prud’hommes.

Cependant, les EPS les plus vertueuses font en sorte, par divers mécanismes, d’amortir ce type de risques en garantissant les salaires dès le premier jour de mission. En ce sens, le porté s’approche du salarié "classique".

"Salarié": quelques avantages

Titulaire d’un contrat de travail, le porté en a les grands avantages: cotisations retraite et assurance chômage. Sauf que, remarque Colin Marchika du CESTA:

"Encore faut-il que ces missions soient assez longues pour lui ouvrir des droits… avec une durée moyenne de 278 heures de travail annuel (en 2005), c’est rarement le cas."

En dehors de ça, le porté a tout de l’indépendant. D’ailleurs, il n'a pas d'impact sur la masse salariale de l’entreprise cliente. D'où certaines perversions prévisibles du système. Hélène témoignage:

"Je suis rentrée l'année dernière en CDD dans une grande banque française pour la gestion d’un projet d'ingénierie réseau. Cette année, ils m'ont demandée de passer en portage pour limiter leurs charges salariales."

Autre dérive observée, les contrats peuvent facilement glisser vers la prise en charge de tâches récurrentes, ce qui constitue alors une forme d’externalisation particulièrement avantageuse pour l’entreprise en termes de coût et de flexibilité.

Tous en portage?

Le coût (élevé pour un plein temps) et la flexibilité du portage (rien n’oblige le porté à la fidélité) réduisent sérieusement la probabilité de sa généralisation. Pourtant, en théorie, le portage peut concerner tous les salariés, car il n’existe à l’heure actuelle que très peu de restrictions.
Les rémunérations

Les honoraires d’un porté correspondent à un peu plus de deux fois le salaire brut (honoraires plus les charges patronales) qui lui sera reversé. On parle ici d’honoraires de consultants, on est donc bien loin d’un SMIC horaire. L’échelle des rémunérations est vaste (de quelques milliers d'euros par jour pour qui pointe dans des conseils d'administration, à des montants mensuels bien inférieurs pour d’autres). Les prestations se montent à plusieurs centaines d’euros par jour (d’environ 500 à 1500). Mais attention, ce montant inclue les congés, la mutuelle, le droit à la formation, et bien sûr la précarité. Les pratiques varient considérablement d’une EPS à l’autre.
Sans compter que l’on parle ici aussi d’horaire de consultant, et qu’un jour facturé dépasse largement les 7h30 de travail…

Deux écoles s’affrontent: d’un côté, les partisans du portage "de prestation intellectuelle de mission" (pour faire vite: destiné aux cadres), autour du Syndicat national des entreprises de portage salarial (SNEPS), et, de l’autre, l'UNEPS (Union nationale des entreprises de portage spécialisées qui souhaite sa généralisation totale (à des métiers tels que le bâtiment, la coiffure, skipper...).

Pour l’heure, les partenaires sociaux sont encore en négociation. Mais on peut raisonnablement penser que le Prisme (syndicat des entreprises de travail temporaire) auquel est confié l’organisation de la branche va pousser dans le sens d’une restriction maximum afin de ne pas créer une concurrence interim/portage.

Un complément de revenu

Si on se cantonne au domaine des prestations intellectuelles, le cliché veut que le portage s'adresse à des experts qui optent pour "la liberté" sans pourtant vouloir s'embarrasser de "paperasses". En fait, le spectre concerné par le portage salarial est bien plus large. Tous les cadres ou assimilés, quelque soit leur métier ou leur expérience peuvent être amenés à évoluer en portage, que ceci soit pleinement assumé ou plus ou moins contraint. Géraldine raconte:

"A Noël, je me suis retrouvée sans droit… J’avais besoin d’une solution rapide, j’ai proposé à une société avec laquelle j’étais en contact depuis longtemps un mi-temps en portage salarial. Ils ont accepté. C'est mieux que rien...."

S'il peut évoluer vers une forme de travail plus classique, le portage présente des risques de précarité réels pour qui en a fait le choix par défaut. La durée des missions (d’une journée à plusieurs mois) et les rémunérations étant très variables, tous n’y trouvent pas leur compte. Le portage est donc souvent complémentaire d'un autre type d'activité, d'une préretraite, de solidarités familiales ou… des assedics, pour qui était salarié "classique" auparavant.. "Une fois que j'ai fait la paie des autres, la mienne est vite faite", plaisante un chargé de paie, ex-responsable RH.

S'il répond sans aucun doute à un besoin réel du marché du travail dans certains cas spécifiques, les contours du portage salarial sont encore flous. A l’heure actuelle, le statut de porté est encore en construction, et on ne connait pas encore les limites de cette nouvelle créature juridique. Pour Jean Yves Kerbourc’h, professeur à l’Université de Haute-Alsace:

"C’est une forme d’intermédiation et d’externalisation nouvelle qui risque de poser des problèmes inédits.

Source : ma.vie.a.nantes.over-blog.com